lundi 7 février 2011

J vs J


L’ascenseur tombait, j’allais mourir. Je n’avais pas choisi, pas comme si j’avais sauté. Je ne m’étais pas suicidée, ni à la scie, ni au dé. Pas même en sautant de cette tour. J’allais mourir comme j’avais vécu, bêtement. Et même si je n’aurais pas dû avoir le temps de vous raconter ça, puisque l’ascenseur tombait aussi vite qu’il était monté, je le fais quand même. Et bien que l’on dise que lorsque l’on va mourir on revit toute sa vie, là, ça ne se passait pas du tout comme ça. D’ailleurs, je n’ai jamais compris pourquoi on passait son temps à dire ça. Si on était mort, on était mort, point. On ne revivait pas sa vie, et puis on n’envoyait pas une lettre aux vivants pour leur raconter. C’est aussi idiot que Jésus. Et d’ailleurs voilà, voilà ce qui m’était arrivé. J’allais mourir et je rencontrais alors la personne que j’avais la moins prise au sérieuse de toute ma vie, Jésus. Ce type avec un pagne, qui avait des stigmates; j’avais compris cette année ce que ça signifiait, mais c’était trop tard, puisque j’allais mourir; et ses épines autour de la tête, là. Et bien vous savez, je l’ai rencontré Jésus, et Jésus il n’est pas du tout comme vous l’imaginez. Il m’a dit que vous étiez très cons de le célébrer tout le temps, qu’il n’avait rien fait, que c’était un type comme tout le monde, que fous feriez mieux de célébrer un type comme censure. Il était socialiste le Jésus que je rencontrais, mais ça c’est une autre histoire. Ou comme Bruce Nauman, il aimait l’art ce type, il trouvait qu’il avait la classe en clown, que ça c’était la vraie souffrance. Jésus, il ne voulait pas que ceux qui l’aimaient aillent tous en école de commerce, parce qu’il en avait rien à cirer. Il me laissait sur le cul Jésus. Il me disait ça, tranquille, comme il m’aurait dit « pas mal le bleu de cet ascenseur, ça te rend pas très belle, mais on s’en fout, c’est pas l’intérêt ». Le fait que j’allais mourir il s’en foutait aussi. Il était comme ça Jésus, l’intérêt c’était qu’on était en train de parler, là. Alors je me la jouais Jésus, cool quoi. Jésus-Christ est un hippy. Je lui racontais ça, que certains pensaient que ses cheveux longs c’était pour ça. Il m’a arrêté tout de suite, les hippies, c’était pas son truc à lui, ces connards aux cheveux longs qui aimaient le orange. Il n’aimait pas le orange Jésus. Il n’avait pas d’arguments Jésus. Il le savait mais il savait aussi qu’il ne voulait pas faire de politique. Il disait qu’il n’aurait pas voulu être bedonnant et porter une cravate, qu’il se serait pendu avec la cravate et qu’il aurait demandé qu’on lui ouvre le ventre pour enlever la graisse, mais une fois mort, hein, parce qu’il ne voulait pas souffrir. C’était des conneries ces histoires de martyrs, c’était ceux qui n’aimaient pas la vie. Lui il aimait la vie Jésus, mais voilà, sans plus quand même. Il aimait la vie, c’est tout. Il n’avait toujours pas de raisons à me donner. Puis il trouvait qu’il n’y avait pas d’ambiance. Il me disait qu’il aimait surfer, depuis l’âge de sept ans, je savais que c’était faux, il était un peu mythomane Jésus. Il me racontait n’importe quoi, et il me disait toujours qu’il n’y avait pas d’ambiance. Je lui disais qu’il y avait rarement de l’ambiance avant de mourir. Jésus, il haussait les épaules, et me disait qu’il aimait bien se retourner la tête. Que les portes de la perception c’était des conneries, ce Tom Ford, il n’avait pas pu le lire, il disait n’importe quoi, que son livre c’était de la merde, de la rigolade à côté de ce qu’il faisait, lui, Jésus. Jésus était sûr de lui en plus. Il m’avait sorti une sorte de pilule. Il me demandait ce que je voyais dessus. J’avais dis que c’était rose. C’est tout. Jésus il riait, il répétait « rose, rose c’est tout ». J’étais un peu vexé, j’allais mourir et lui il se foutait de ma gueule, et puis il voyait quoi de différent. Alors là il s’arrêtait de rire Jésus. Il me disait qu’il voyait du rose. Et il s’arrêtait. Il se foutait de ma gueule, qu’est-ce qu’il racontait ce con. Il répétait « du rose, je vois, vraiment, le rose, je le comprend ». Il le comprenait VRAIMENT quoi. Je pensais ouais bidon, il était bidon Jésus, on m’avait foutu un type bidon avant de mourir. Puis en fait je mourrais pas putain, ça durait. Il prenait la pilule Jésus, et l’avalait. Jésus était égoïste. Alors je prenais le col de Jésus, je m’énervais, je hurlais sur Jésus, je blasphémais, mais j’en avais un peu rien à foutre à ce moment là. Jésus bougeait pas, il me racontait l’histoire d’un crabe, qui n’avait qu’un pince, et qui taillait une haie. Il était triste, il n’avait qu’une pince. Il y avait un nain, un nain qui aidait le crabe, me disait Jésus. Jésus il me tendait quelque chose. Avec beaucoup de fumée. J’avais la fumée dans la bouche. Jésus riait. Jésus attendait. Jésus savait. Moi je ne savais pas encore. Je regardais Jésus, Jésus me regardait, et je comprenais. Je riais, je riais, je partais, je courais. Il y avait un massif de fleur, il était embué. Le massif était embué, il n’y avait rien d’autre, et je pleurais, je partais et je pleurais, je perdais l’équilibre, je tombais, je roulais. Jésus n’était pas là, j’allais tomber. Jésus me relevait, il me tenait. Je pleurais, Jésus riait. Je pensais au crabe je pleurais. Pourquoi il n’avait qu’une pince. Je pleurais. Quelqu’un parlait à l’herbe. Pourquoi il parlait à l’herbe. Il lui disait qu’il l’aimait. Pourquoi il disait je t’aime à l’herbe. Pourquoi je pleurais.

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